4 niveaux d’exception : un cas particulier d’accord du participe passé

Un cas particulier qui ressemble plutôt à un casse-tête chinois… Dans la configuration suivante :

elle les a laissé partir

… on ne trouve pas moins de 4 niveaux d’exception pour expliquer l’accord du participe passé « laissé ».

1er niveau d’exception : la règle de l’accord du participe passé (PP) avec l’auxiliaire avoir est déjà, en soi, une exception, puisqu’elle déroge à la règle générale d’accord des verbes, qu’on est supposé accorder avec leurs sujets.
Le participe « laissé » ne s’accorde donc pas avec le sujet « elle ».

2e niveau : … mais le PP peut s’accorder avec le COD, si celui-ci est antéposé. C’est le cas ici. Si la phrase était : elle les a laissé(e)s, on devrait accorder le PP au pluriel, masculin ou féminin en fonction de ce à quoi le pronom « les » renvoie. MAIS :

3e niveau : la règle d’accord avec le COD varie quand il y a un infinitif derrière le participe, auquel cas on doit se demander si le COD fait ou non l’action exprimée par cet infinitif (ex : les acteurs que j’ai vus jouer vs les pièces que j’ai vu jouer). Dans notre phrase, le pronom COD antéposé « les » est bien le sujet de l’action de partir ; on devrait, et pourrait donc écrire : elle les a laissés partir.

4e niveau : les rectifications de 1990, qui ne sont en fait que des recommandations, préconisent d’exonérer faire, se faire, laisser et se laisser de tout accord, et de les considérer comme invariables quand ils sont suivis d’un infinitif. On préfèrera donc : elle les a laissé partir.

Certains jugent navrants et incohérents ces niveaux de complexité, à l’instar de Paul Valéry qui qualifiait (peut-être avec ironie) l’orthographe française de « criminelle » ; d’autres trouvent à ces ramifications le charme des vieilles rues, en y voyant de subtiles curiosités ; je laisse au lecteur le soin de se faire sa propre opinion.

mardi 26 janvier 2021

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