À force d’entendre cette remarque, ou l’une de ses nombreuses variantes ( « non, mais là je ne me suis pas encore relu », « j’ai pas regardé l’orthographe », « je ne me suis pas encore occupé de l’orthographe, attendez, je vais relire », « j’ai pas fait attention aux fautes »…) j’ai fini par me dire qu’il y avait là un problème digne d’intérêt, plus profond qu’une simple question de paresse. D’ailleurs, je n’obtiens jamais de réponse convaincante à ma repartie : mais pourquoi écrire d’abord le mot avec une faute pour ensuite devoir revenir dessus ?
Il apparaît que, dans une part relativement importante de la population, l’orthographe (encore devrait-on dire l’orthographie si l’on écoutait Littré) l’acte d’orthographier s’est dissocié de l’écriture, plus précisément du moment où l’on écrit : chez ces rédacteurs, de tous âges, on écrit d’abord, et on orthographie ensuite. A une époque où l’on n’a jamais autant écrit, il me semble primordial de corriger cette fâcheuse dissociation.
A-t-elle lieu parce nous sommes davantage pressés, dans tout ce que nous faisons, y compris écrire ? C’est une explication possible, le mauvais remède consistant à penser qu’un robot s’occupera de cette tâche fastidieuse à notre place : nous lui soumettrons des mots à peine réfléchis et écrits à la va-vite et il mettra ça en forme : orthographe, syntaxe, etc. Commençons donc peut-être par ralentir.
L’idée qu’on devrait orthographier ses productions écrites après les avoir rédigées pourrait un peu être comparée, même si le risque est bien moindre, à un conducteur automobile qui dirait : je mettrai tous les clignotants une fois arrivé dans mon garage. La relecture finale n’est qu’un filet de sécurité, une sage vérification, mais l’orthographe doit se faire pendant que l’on écrit. Pour employer un terme un peu savant, elle doit être consubstantielle à l’écriture.
Contrairement à ce que pensent certains, cela ne va pas leur faire « perdre leur idée » : un accord ou une question de consonne double n’ont pas cette nocivité ! Au contraire, s’interroger sur la graphie des mots au moment où on les emploie ne peut qu’en améliorer le choix. Soigner son orthographe, c’est aussi soigner sa pensée…
Si je reprends ma métaphore de la conduite, je vois que le cerveau est tout à fait capable de faire plusieurs choses à la fois, tant que ces choses participent d’un même acte, en l’occurrence s’exprimer à l’écrit, selon un temps et une modalité qui ne sont pas les mêmes qu’à l’oral : je peux donc en même temps chercher un adjectif adéquat, l’accorder selon la règle idoine -et j’ajoute : ponctuer correctement ma phrase.
J’ai entendu une fois quelqu’un me dire : je mets tous les accents à la fin ! Quelle gymnastique tarabiscotée !
Puisqu’il y a là-dessous de fausses idées de gain de temps, il est également facile de démontrer que ce n’est ni vrai (c’est plus long en deux fois) ni efficace (on laisse passer plus de coquilles).
Moralité : C’est en voulant gagner du temps qu’on en perd vraiment.
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mardi 10 avril 2018
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