Il me semble utile, pour des raisons que je détaille en fin d’article, de produire un petit schéma de pensée pour comprendre le rapport particulier qu’entretiennent, en orthographe, l’usage (c’est-à-dire le français que nous parlons et écrivons tous les jours) et la règle (c’est-à-dire le code commun que nous avons appris à l’école).
À court terme, c’est la règle qui commande l’usage : nous apprenons à l’école des règles d’orthographe qui nous permettront de communiquer avec ceux et celles qui partagent ce code, car qu’est-ce que l’orthographe, finalement, sinon un nécessaire code commun ? Pourquoi nécessaire ? Parce que si nous n’en avions pas, chacun écrirait selon son humeur, et demain je déciderais de faire mes pluriels en « w », parce que je trouve cette lettre sympa, et j’écrirais « les voiturew » ; quant à mon cousin, qui préfère les x, et aimerait signaler un pluriel en début de mot, il écrirait « les xvoiture »… Heureusement, mon cousin et moi avons appris la même règle (le même code) et pouvons échanger dans la joie et la bonne humeur : au pluriel, un « s » sauf quand le nom ou l’adjectif en comporte déjà un (ou un x ou un z). Les voitures. Nous nous comprenons.
Mais il ne faut pas avoir une vision fixiste de la règle : sur le long terme les règles évoluent, et sont parfois modifiées par des gens qui, n’en déplaise aux réformistes compulsifs, connaissent excellemment la langue française et pensent utile de modifier un ou deux écrous dans son code. Et pour quelle raison font-ils cela ? Ici la flèche s’inverse, et c’est l’usage qui commande la règle. Quand une règle n’est plus adaptée au français réel, qu’elle s’en est trop éloignée pour ainsi dire, ou qu’elle contient une anomalie, elle est amendée, corrigée ou supprimée. Sur le temps long, la règle suit l’usage. Ainsi pouvons-nous écrire « évènement » depuis 1990, en rectification d’une vieille coquille dans un Dictionnaire de l’Académie, cette graphie étant plus proche de la prononciation réelle des français.
D’un point de vue pédagogique, il me semble important de bien faire comprendre ce fonctionnement aux élèves ou apprenants, pour éviter deux écueils : avoir une vision parano des règles, qui ne seraient édictées que pour nous assujettir à je ne sais quel pouvoir -en fait, nous avons un besoin pratique de règles ; ou avoir une vision trop puriste de la langue, qui voudrait qu’on n’y touche jamais -en fait, on doit y toucher quand l’usage le demande, même si on ne doit le faire, pour paraphraser Montesquieu, que « d’une main tremblante ».
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mardi 10 septembre 2019
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