Question mille fois entendue en marge de mes cours particuliers –et à laquelle je réponds parfois par une boutade (sérieuse) : et vous, lisez-vous ?
Qu’un parent s’inquiète de l’indifférence totale de son enfant à l’égard de la chose littéraire, qu’il s’interroge sur l’impact éventuel de ce désintérêt sur ses notes (ce qui est un peu différent), ce sont là nobles préoccupations, mais je me permets de commencer par corriger la question elle-même : comment inciter un adolescent à lire ?
Nous n’avons, pédagogiquement, que deux mauvaises solutions, du moins deux solutions risquées.
Soit nous « imposons » des lectures obligatoires –ce qui est le choix de l’Éducation nationale– et courons le risque, par ce forçage, de dégoûter l’élève de la littérature (le nombre de témoignages de ce cas de figure n’est pas majoritaire, mais il n’est pas non plus anodin). Il concourt de plus à donner des classiques une image parfois un peu poussiéreuse qu’il est si difficile d’effacer dans l’esprit de nombreux adultes : le résultat en est qu’ils s’en tiendront loin toute leur vie.
Soit nous n’imposons plus ces lectures, mus par une confiance aiguë dans le pédagogisme et l’auto-découverte, mais courons du coup le risque inverse qu’ils n’ouvrent jamais un de ces classiques qu’on les aura invités à lire par eux-mêmes.
Quitte à courir un risque, autant courir le premier, parce qu’au moins on aura essayé ; on peut également y adjoindre la suppression du chantage à la note, parce que quand on lit Le père Goriot « à cause du contrôle », on ne lit pas vraiment Le père Goriot. (À ce sujet, voir cet excellent raisonnement de Paul Valéry). L’une de mes premières émotions littéraires vint justement d’une de ces listes de lectures imposées, mais non soumises à évaluation : c’était Sa majesté des mouches, de William Golding. J’étais en Seconde, ma philosophie de lecture aurait pu se résumer par : « Hors de Tintin, point de salut », et un certain Monsieur G. nous avait donné pour de petites vacances une liste de titres de romans dans laquelle piocher une œuvre au choix. Le titre m’intriguait, aucun contrôle n’était planifié mais nous devrions parler de nos lectures en classe à la rentrée. Je tournai les premières pages relatant le rassemblement des enfant après le crash de l’avion, à « l’appel de la conque »… pour ne plus lâcher le livre jusqu’à sa fin, terrible. Pour la première fois, j’aimais un roman ; je n’ai plus cessé d’en lire depuis.
Pour revenir à la question initiale, ce que j’ai de mieux à y répondre tient dans ce dessin humoristique que j’ai trouvé sur la toile :
Tout y est dit. Les sermons sur l’importance de la culture générale tomberont à plat (surtout si vous-même arguez que vous n’avez « pas le temps de lire ») ; les contrôles sont un pis-aller ; l’attentisme ne produit rien ; seul l’exemple a de la valeur. Si votre enfant sent que vous aimez lire, s’il vous voit lire et vous entend parler (sans calcul) de vos lectures, il recevra 5/5 un message qui lui restera toute sa vie en tête et qui a de sérieuses chances de porter ses fruits.
mardi 22 septembre 2020