Un réformateur compulsif vous dirait, dans sa croisade pour aligner l’orthographe entièrement sur l’oral, que ces trois graphies pour une même sonorité [ɑ̃] sont une affreuse complication, gaspillant le temps de cerveau disponible de nos enfants sous la domination d’un patriarcat cherchant à préserver ses privilèges aristocratiques (je caricature à peine), mais en l’occurrence, l’existence de ces trois écritures me semble plutôt être une richesse qu’une anomalie à faire disparaître.
Elle permet de différencier trois significations :
- l’adjectif différent, dont il est inutile de rappeler le sens ;
- le nom différend, qui indique une divergence de vue, voire une dispute ;
- & le participe présent du verbe différer : En différant la diffusion du match, la chaîne a déçu ses spectateurs.
C’est justement pour éviter la confusion du nom avec l’adjectif que le « d » s’est substitué au « t » à la fin du 18ème siècle : ici l’orthographe permet de désambiguïser deux formes qui, à l’oral, ne seraient pas distinguables. C’est d’ailleurs l’argument qu’il faudrait opposer à ces réformateurs : un texte écrit est fait pour être lu*, et non entendu –et le seul argument de la difficulté d’apprentissage trouve ici sa limite. Ici la « difficulté » orthographique (ce n’est pas non plus de la physique quantique) permet une nuance qui disparaîtrait avec une prétendue simplification.
*Je renvoie à la brillante démonstration de Bernard Cerquiglini sur ce sujet dans l’émission Concordance des temps.
On retrouve le même genre de procédé avec les accents circonflexes de « sûr » et « dû », qui permettent de ne pas les confondre avec la préposition « sur » et le partitif « du ». Concernant ce dernier, l’accent n’est d’ailleurs plus de mise au féminin et au pluriel : due, dus, dues, car il n’y a plus de confusion possible.
Tout n’est pas « arbitraire » dans notre code orthographique.
mardi 8 juin 2021