Qui n’a pas, sur sa tablette ou son smartphone, pris le raccourci de l’écriture prédictive ? Vous étiez en train d’écrire « dispo… » et voilà que l’algorithme si prévenant vous propose de cliquer sur « disponible » ou « disponibilité« , formes garanties lexicalement et livrées clés en main. Pourquoi se fatiguer à écrire soi-même tout le mot ? Hop validé : disponibilité. Trois secondes gagnées.
J’avoue pour ma part prendre souvent ce raccourci quand j’écris sur ma tablette, raison pour laquelle je n’écris quasiment jamais sur ma tablette. J’ai la faiblesse d’attacher encore une certaine importance à écrire moi-même ce que j’écris : sans doute suis-je, à ce titre, un incorrigible nostalgique !
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Au-delà des biais de suggestion dont j’avais parlé dans ce premier article, je trouve cette facilité dangereuse pour l’esprit. Quand un outil technique m’économise une tâche ingrate ou qu’il augmente une de mes aptitudes, c’est une bénédiction ; mais quand il remplace cette aptitude, il se transforme en amputation. Si la machine écrit la moitié des mots à ma place, il en écrira bientôt les trois-quarts et je perdrai peu à peu l’habitude de les chercher, de les manier, de les reprendre, de les comparer, de les orthographier, de les soupeser : je ne deviendrai qu’un consommateur de mots surgelés catalogués dans un grand congélateur lexical. Les mots quitteront mon cerveau pour aller habiter dans des data centers. Et avec eux, ma capacité de penser.
Si je voulais poursuivre dans cette veine dystopique, je pourrais imaginer un futur pas si lointain où la capacité à écrire, par paresse généralisée, aurait totalement disparu : nous dicterions nos idées en vrac à des machines qui les ordonneraient et les transformeraient par l’opération du Saint Google en textes normés et corrects. Nos écrits se videraient de toute présence.
Je peux également couper l’écriture prédictive.
mardi 13 décembre 2022