Il y a un problème : certains lycéens pensent qu’un écrivain est un type qui se lève le matin (enfin qui se levait car tous les écrivains sont morts c’est bien connu) et qui se dit : tiens, aujourd’hui je vais insérer des synecdoques et des oxymores dans un récit à visée argumentative.
Le fossé entre les bonnes intentions du programme et la perception, l’expérience réelles des adolescents est devenu un abysse : la frêle et tremblante passerelle de la critique littéraire n’assure plus qu’un traversée incertaine. Tous les jours je fais analyser Verlaine, commenter Hugo, et interpréter Voltaire ; tous les jours je fais remplir des listings de registres et des tableaux de figures de style ; et tous les jours je me dis que cette forme d’initiation est inefficace.
Voici, selon moi, où le bât blesse : l’analyse littéraire est passionnante quand on aime déjà lire, mais commencer par cela obtient l’effet inverse de l’effet escompté. Initier par l’analyse est voué à l’échec. Un élève de Seconde n’aimera pas Balzac grâce à un commentaire composé ! Imaginez un professeur qui, voulant faire découvrir à ses jeunes élèves les merveilles de l’astronomie, commencerait par les enfermer dans une pièce pour apprendre des équations de physique, avant même de les avoir conduits sous le dôme des étoiles : d’une telle manière de faire, on pourrait se demander à juste titre si elle ne cherche pas plutôt à les « dégoûter » de l’astronomie! La littérature parle au cœur, et l’éducation nationale fait passer ce sublime projet par le goulot d’étranglement de la critique littéraire.
Tout le monde sent bien cela. Maintenant que faire ? Comment initier, transmettre, ce matériau aussi riche, aussi particulier qu’est la littérature ?