Apprendre à « se forger » une opinion

(brouillon)

Dans l’une de ses nombreuses et excellentes conférences, Étienne Klein rappelle (et réactualise) le sens de cette vieille expression française, qui, comme de nombreuses expressions idiomatiques ou proverbiales, révèle à l’examen une profondeur insoupçonnée.

Pourquoi est-il plus intelligent de dire qu’on « se forge » une opinion que de dire qu’on en « a » une ?

Parce que, dans le second cas, cela fige l’opinion, comme si l’on parlait d’une chose définitivement acquise, immuable, sur laquelle on ne reviendrait jamais, et qu’il s’agirait de défendre narcissiquement (comme un toutou défendant son nonos ?) contre des adversaires supposés ayant commis le péché de ne pas avoir la « même » opinion : dans ce type de configuration de pensée, on comprend que ce sont surtout des moyens d’avoir raison (de faire taire son adversaire) qui vont prévaloir sur une recherche honnête de la vérité.

Dans le premier cas, on considère ses opinions comme un matériau toujours perfectible, une sorte de work in progress. Étienne Klein dit : je « sors mon cerveau de ma tête, le met sur l’enclume… » Dans cette vision, je ne m’identifie plus totalement à l’état actuel de mes opinions, je n’en fais pas une histoire personnelle, je les vois comme des outils (je préfère imaginer une forge qui fabrique des outils plutôt que des armes) me permettant d’agrandir l’espace de ma réflexion.

Quelques clés pour se « forger » des outils toujours plus affinés et plus solides .
Tout d’abord, les informations, prises à des sources de qualité.
Ne pas être pressé de conclure, et se prémunir contre l’effet Dunning-Kruger..
Ensuite, bien sûr, la contradiction : m’ouvrir aux opinions adverses, ou alternatives, selon la belle formule de Montaigne : « Qui me contredit m’instruit. »

Être capable d’esprit critique aussi bien envers mes propres opinions (cf le panier de pommes de Descartes) qu’envers les autres.
Avoir conscience des biais -et des miens tout d’abord.
Un esprit pondéré capable de dire aussi bien « oui » que « non ».
Le goût de la vérification.

Et l’ingrédient final : une qualité qui est davantage d’ordre moral que d’ordre intellectuel : la bonne foi.

Avec cette rigueur, je peux espérer que ce que je pense sera toujours plus intéressant au moment t+1. Il faudrait pouvoir affirmer: voici ce que je pense aujourd’hui ; mais ce que je penserai demain sera probablement plus assuré encore.

mardi 12 janvier 2021

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