Une note un peu plus psychologique ici (une fois n’est pas coutume), qu’il ne me semble pas inutile de produire alors que les indicateurs de baisse du niveau orthographique des Français sont en train de virer à la culpabilisation générale…
Le constat que je ne puis m’empêcher de faire dans ma pratique de formateur, est que la plupart des gens qui font beaucoup de fautes d’orthographe le prennent mal. Si cela ne les empêche peut-être pas de dormir, ils le vivent néanmoins (selon leurs dires) comme une sorte de « handicap » -mot que j’ai entendu très souvent. C’est le résultat de plusieurs facteurs, qui peuvent se combiner, et que j’énumère ci-après :
1. des appréciations scolaires, plus ou moins lointaines dans le temps, qui ont laissé des traces, du genre : Niveau très insuffisant en orthographe !! Tu dois te reprendre car ton passage en… On connaît la suite de la chanson.
2. parfois des diagnostics « médicaux » potentiellement stigmatisants : un élève m’a dit un jour que son orthophoniste avait écrit qu’il souffrait de « troubles orthographiques sévères » … Bigre ! On ne trouverait pas meilleure expression si l’on voulait effrayer quelqu’un. Ici le lexique médical, se voulant précis et objectivant (>positiviste), ne fait, selon moi, qu’enfoncer le clou. En mettant une étiquette pour résoudre un problème, il l’entérine.
3. des remarques ironiques de l’entourage, sur le mode : Quoi ?! Tu ne sais pas accorder un participe, alors que ta fille en Cinquième sait déjà le faire ?!!
4. des chantages sociétaux : Tu ne seras pas recruté, tu n’as pas vu le dernier sondage qui dit qu’un DRH sur deux ne retient pas un CV comportant des fautes d’orthographe ?…
(Faudrait-il maîtriser l’orthographe pour complaire aux entreprises maintenant ?)
N’en jetez plus.
Par-dessus les erreurs orthographiques elles-mêmes, viennent donc se surajouter ces couches de sédimentation, qui deviennent partie intégrante dudit « problème ». Professeurs, formateurs, éditeurs de ressources pédagogiques, que pouvons-nous faire pour enrayer ce cercle vicieux, lutter contre cette très compréhensible aversion qui s’est développée chez celui ou celle que nous nous proposons d’aider ?
Il faut commencer par -c’est la moindre des choses- cesser d’entretenir ce ressentiment, en évitant :
1. de faire la morale à celui ou celle qui fait des fautes. Monter dans ses tours parce que quelqu’un vous a envoyé un mail où il y avait deux verbes mal conjugués, parler de « négligence », de « manque de respect », c’est un peu… tatillon -surtout quand on fait soi-même des fautes, HUM !
2. de s’en prendre à l’objet même de l’orthographe, en la déclarant trop compliquée, trop élitiste, en réclamant impérieusement sa refonte complète, que sais-je encore ?… Non seulement ce genre d’attitude nuit à l’image déjà dégradée de la langue que se faisait l’apprenant, mais ce sont, en outre, des coups d’épée dans l’eau, de son point de vue, car ces hypothétiques réformes n’entreraient en vigueur que sur du temps long : pendant ce temps, on n’aura pas avancé d’un pas
3. laisser accroire que quelques astuces et ficelles (+ un correcteur automatique !) suffiraient : elles sont au final plus infantilisantes qu’autre chose.
Ce qui me paraît efficace, c’est justement d’essayer de « dépsychologiser » la question de la maîtrise de l’orthographe. Rendre la règle accessible, ludique ; retrouver des appuis solides, dans la langue elle-même et non dans de vaseuses considérations de caractère, de psychologie ou de sociologie de comptoir. Cheminer, avec les moyens du bord, vers la (re)découverte de la beauté de la langue et des nuances diaprées de son orthographe. Expliquer à quelqu’un d’où vient l’accent circonflexe se trouvant sur le « e » de « forêt », retrouver avec lui la racine de « forestier », faire remarquer que l’anglais a gardé le « s »… me semble plus à même de le réconcilier avec son orthographe que de lui inventer un nouveau nom de maladie.
Passer de la culpabilisation du sujet à la découverte d’un nouvel objet, ou d’un objet retrouvé, enfoui qu’il était sous toutes ces couches successives de reproches extérieurs.
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mardi 12 mars 2019
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