Le puits et la flaque d’eau.
Il y a une image dont je me sers souvent pour caractériser ce qu’il faut entendre (tant dans la dissert de Lettres que de philosophie) par « développement » de ses idées, expression que certains élèves aiment à caricaturer par le verbe : blablater.
Cette image, c’est celle du puits. Les deux caractéristiques d’un puits -et d’une bonne dissertation, donc- ce sont ses limites et sa profondeur.
Un puits est situé à un endroit précis, et pas à un autre ; ainsi, le traitement approprié d’un sujet ne sera pas le même que celui d’un autre sujet, même voisin. Et comme on s’évertuera à ne rester QUE dans les limites exigües de ce sujet-là, on pourra l’approfondir au maximum, creuser de plus en plus loin pour en faire jaillir l’essence précieuse tant recherchée. Plus on se limite dans ses prétentions, plus on se rend capable de gagner en profondeur.
L’image opposée serait celle de la flaque d’eau qui s’étend, superficielle et sans limites précises, comme ces copies qui s’épuisent en généralités aussi vite évacuées qu’abordées.
Suivre le fil de son idée plutôt que de sauter de branche en branche.
J’ai souvent remarqué que les auteurs de copies jugées insuffisantes par leurs correcteurs avaient souvent de bonnes pistes mais qu’ils ne les suivaient pas, qu’ils les délaissaient trop rapidement pour passer à une autre.
Exemple dans cette copie sur le sujet : Ne travaille-t-on que pour gagner de l’argent ?
Voici ce qu’écrit un élève dans sa deuxième partie (qui expose des raisons non financières au travail) :
Cependant pour certains le travail n’est pas forcément une nécessité. Les bénévoles sont dans ce cas-là, ils travaillent et pourtant cela ne leur permet pas de survivre mais ça leur tient à cœur. Comme les artistes par exemple qui font ce qu’ils font par plaisir,…
Ici l’élève tient une très bonne piste (le bénévolat) pour battre en brèche une vision strictement utilitariste du travail. Plutôt que de passer tout de suite à un autre exemple (les artistes), il aurait pu la prendre au sérieux et la creuser, l’approfondir pour en faire sortir davantage de matériau.
Voici ce que cela aurait pu donner :
Mais l’idée que tout travail se fait par nécessité peut être discutée, et on peut lui trouver des contre-exemples. Prenons le cas du bénévolat. Il s’agit bien d’un travail : un chirurgien engagé dans une association humanitaire qui va aller opérer des patients dans des déserts médicaux africains pendant ses vacances par exemple. Le fait est qu’il ne retirera aucun salaire de ce travail-là -c’est le principe même du bénévolat. D’un point de vue strictement matériel, rien ne le « pousse » à faire cela, car il pourrait très bien passer ses vacances, comme certains de ses collègues, à se détendre sur une plage ou à jouer au golf, car il a gagné suffisamment d’argent dans l’année pour se reposer un peu. Il n’est pas obligé, il ne retire aucun gain financier, et pourtant il fait ce travail. C’est donc un cas qui dément l’idée que nous ne travaillons que par obligation financière. Les motivations de ce médecin sont d’un autre ordre : ici on peut supposer qu’il trouve du sens dans cette activité, qu’il se sent utile en mettant à profit sa compétence ; moralement, il fait une action qu’il juge bonne et c’est là que se trouve son vrai « salaire »…
Plutôt que de sauter de branche en branche, d’idée en idée ou de citation en citation, prenez-en une, assurez-vous qu’elle cadre avec le problème et suivez-la jusqu’au bout ! Prenez le temps de l’expliquer, d’en examiner toutes les implications.
Dans une bonne dissertation, il s’agit plutôt de creuser que de collectionner.
mardi 10 mai 2022