Faut-il offrir un livre avec un bandeau rouge à Noël ?

Quand j’étais en D.E.A. de Lettres modernes, notre prof de Sociologie de la littérature nous avait joué un petit tour amusant : il avait fait passer parmi tous les étudiants du TD une liste sur laquelle figurait une cinquantaine de noms d’écrivains. « Les connaissez-vous ? »
Quelques noms nous étaient familiers (Proust, Malraux…), mais dans l’ensemble ces noms ne nous parlaient pas beaucoup.
– C’est la liste des cinquante derniers lauréats d’un très célèbre prix dont je tairai le nom, conclut-il, triomphant.

Nous comprîmes qu’il cherchait à nous faire saisir la différence entre auteurs à la mode et auteurs pérennes, rejoignant par là le conseil d’un autre prof de fac que j’avais eu deux avant, en Histoire littéraire : « Ne lisez jamais un livre paru il y a moins de vingt ans. »

On ne saurait prendre totalement au pied de la lettre ces conseils -car il est intéressant de parcourir les pages des livres récents, d’autant que, parmi eux, se cache peut-être un futur Balzac- mais l’idée de ces deux professeurs était de dire que la littérature est un art tellement riche et tellement ancien qu’on pourrait passer sa vie à ne lire que des chefs d’œuvre : pourquoi, alors, s’embarrasser des ouvrages à la mode ? Comme dit Schopenhauer dans un texte polémique sur la lecture et les livres, l’art de bien lire comprend aussi le fait d’apprendre à ne pas lire.

Peut-être est-ce cette distance aux auteurs « du moment » qui avait fait écrire à Paul Léautaud qu’ « un écrivain qui reçoit un prix littéraire est déshonoré » ou poussé Sartre à ne pas aller chercher son prix Nobel, attitude que René Girard avait astucieusement qualifiée de « refus ostentatoire de l’ostentation ».

Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas non plus de se draper dans un lointain élitisme qui consisterait à ne lire que des classiques, mais de garder en tête l’idée qu’offrir L’île au trésor, ou des poèmes de Verlaine, ou un roman de Hugo, ou les Mille et une nuits, ou L’odyssée, ou des nouvelles de Borges… constitue et demeure une valeur plus sûre que celles des salons parisiens.

Quitte à chercher absolument des primés, rabattez-vous plutôt sur les lauréats du Nobel -que Borges n’a, soit dit en passant, jamais obtenu…

mardi 14 décembre 2021

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