Il est facile d’avoir l’esprit critique avec des mœurs, des cultures et des civilisations lointaines ; il est aisé de reconnaître les aberrations et les injustices d’autres sociétés que la nôtre, elles nous « sautent aux yeux » pour ainsi dire ; n’étant pas habitués à telle ou telle coutume, nous pouvons avoir une plus grand objectivité critique à son égard. A ce propos, lire l’excellent chapitre de Zadig sur « le bûcher des veuves ».
Mais c’est une tout autre histoire quand il s’agit de notre propre culture. Vous connaissez l’histoire : si l’on plonge une grenouille dans une casserole d’eau bouillante, elle en ressort immédiatement et vivement ; mais si on la met dans une casserole d’eau froide, dont on fait monter très progressivement la température, elle s’habitue et meurt ébouillantée ! Il en va de même avec mes habitudes culturelles, avec lesquelles je n’ai naturellement aucune distance critique… à moins de me mettre à penser. « C’est comme ça que tout le monde fait » ou « c’est comme ça qu’on a toujours fait », tels sont les deux plus redoutables poisons pour la pensée. (Poisons aussi redoutables d’ailleurs que leur contre-type : l’anti-conformisme systématique)
Facile pour moi de critiquer l’esclavagisme des romains ! Mais qui me dit…
1. que j’aurais été anti-esclavagiste au temps des romains, étant moi-même romain ?
et 2. que je ne fais pas en ce moment certaines choses que les générations futures considèreront, à juste titre, comme méprisables ?
C’est ici que l’activité de philosopher est salvatrice, car elle peut permettre à la grenouille que je suis de se poser des questions sur la température et la qualité de l’eau dans laquelle elle baigne. Il ne s’agit pas de tout rejeter en bloc non plus dans ma culture, mais d’apprendre à m’en extraire, intellectuellement, pour en séparer le bon grain de l’ivraie.
__
# à quoi sert la philo? mardi 27 octobre 2015
__
__
__