Le philosophe Alain écrivait : « L’orthographe est de respect ; c’est une sorte de politesse ». J’ai souvent lu ou entendu ce rapprochement : écrire sans faire de fautes serait une forme de courtoisie, de savoir-vivre, voire, carrément, de comportement éthique. Je remarque tout d’abord que ce discours est majoritairement tenu par des gens qui maîtrisent bien l’orthographe -c’est donc un raisonnement pro domo ; secondement, ce raisonnement me gêne un peu, et voici pourquoi.
Je ne trouve pas que quelqu’un qui envoie un mail avec des fautes à un proche, à un contact professionnel ou même à un inconnu, lui « manque de respect ». Il n’y a pas de faute morale à écrire : « je vous envois ma facture » ; il y en aurait peut-être une si le montant de cette facture n’était pas celui qui avait été devisé, ou s’il était exagérément élevé, mais confondre un verbe du premier groupe (envoyer) avec un verbe du troisième (voir), non, trois fois non, ce n’est pas un signe de mépris. Si l’on descend d’un cran, je ne trouve même pas non plus que ce soit impoli. L’impolitesse, c’est de ne pas prévenir qu’on ne viendra pas à un rendez-vous et laisser la personne vous attendre ; l’impolitesse, c’est parler tellement fort dans un restaurant que les autres tables ne peuvent même plus s’entendre, … ce n’est sûrement pas oublier un accord au pluriel dans un texto.
Je vois cette tentative de moralisation de l’orthographe comme une fausse élégance, une pose ; je ne prends donc pas la phrase d’Alain. J’utiliserais, pour ma part, un autre terme, celui de négligence (modérable encore en « inattention » ou « inapplication »), mais non pas de la personne qui écrit avec des fautes envers ceux et celles à qui elle écrit (c’est lui faire un faux procès), mais envers ses écrits. Et je le dis souvent dans mes formations : prenez soin de vos écrits, aimez-les, jusqu’aux plus banals, ils sont l’expression de votre pensée, rendez-les dignes d’elle. Combien de fautes sont dues à une trop grande précipitation, à un rapport de « corvée » à la langue écrite ? C’est ici qu’il faut travailler, non sur le terrain du jugement.
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mardi 28 mai 2019
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