« Mais est-ce que l’auteur a vraiment voulu dire ça? »

Telle est la question que j’entendais déjà quand j’étais lycéen et que j’entends toujours de la part de mes élèves, avec cette même pointe de doute dans la voix.

Maintenant que c’est à moi de répondre, j’en rajoute même une couche et dis: « Oui, il a voulu dire ça et il en a même dit cent fois plus que ce qui peut t’être appris aujourd’hui. »

Derrière l’anecdote, cette question a vraiment un grand intérêt, car elle touche au cœur même de l’idée qu’on puisse « enseigner » une grande œuvre littéraire; elle touche aussi aux limites de cette idée.

Quand un élève ose demander tout haut ce que beaucoup d’autres pensent tout bas, parce qu’il a l’impression que son professeur voit dans le texte qu’il a sous les yeux une multitude de choses qui ne lui apparaissent pas du tout, et qu’il en déduit que c’est son professeur qui voit tout ça, qui le « rajoute » au texte, qui le « fait dire » à l’auteur qui n’a peut-être jamais « voulu dire ça », sourire de sa candeur ne saurait suffire, car en fait il remet en cause, avec ses mots, l’idée d’une interprétation univoque des textes; il pose aussi le problème de la réception des textes littéraires, donc de la lecture elle-même, et il interroge enfin le cadre scolaire qui a décidé pour lui de la manière dont il « devrait » lire et comprendre les romans, les poésies, le théâtre, les contes, etc.

Le professeur a raison de lui répondre que son interprétation n’est pas un avis personnel mais une analyse objectivement fondée, et que le cours a pour but de lui faire découvrir ces richesses qu’il n’aurait jamais soupçonnées dans les grands textes, richesses qui nécessitent effectivement une initiation, comme l’œil doit s’habituer pour voir les étoiles plus lointaines.

Mais il est bon que cette question jaillisse, et il faut la laisser jaillir, car c’est une réaction vivante, et aussi une manière de rappeler un fait fondamental dans l’enseignement des Lettres, à savoir que l’interprétation -l’approche analytique- n’est pas et ne doit pas être le seul moyen de transmission des grands textes.

 

Mardi 27 mai 2014

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