Philo / Complotisme et esprit critique

Voilà un mot qu’on entend maintenant au quotidien, associé en général à la rengaine des réseaux sociaux : il semble presque, de ce fait, usé jusqu’à la corde, au point d’avoir engendré sa propre parade : « on se fait traiter de complotiste dès qu’on n’est pas d’accord avec la doxa », ou le fameux « on ne peut plus rien dire ! »

Il y a peut-être des gens qui abusent de ce terme dans les débats et s’en servent de manière pavlovienne . De plus, nul ne doute qu’il a existé (et donc, hélas, existera) de vrais complots : César a bel et bien été assassiné dans un complot qui impliquait jusqu’à son beau-fils, et Nixon a bel et bien fait installer des micros dans les bureaux du Watergate pour écouter ses adversaires démocrates… Mais il y a tout de même des marqueurs qui différencient la vigilance au(x) complot(s) du complotisme, et ces marqueurs ont trait à une généralisation vers le négatif.

J’en viens à mon point : selon moi, le complotisme est un esprit critique dévoyé -ou pour le dire autrement, on « tourne » complotiste quand le discernement devient, par degrés, un réquisitoire permanent.
En soi l’esprit critique est une précieuse qualité intellectuelle, qui nous permet de ne pas forcément croire le vendeur qui nous dit qu’il a le même canapé chez lui ou le politicien qui nous promet de résoudre tous nos problèmes; mais de là en déduire que tous les vendeurs de canapés et tous les politiciens mentent systématiquement, il y a un pas, qui est un pas au-dessus d’un ravin ! Un esprit critique qui ne sait dire que non est hémiplégique : la liberté, ce n’est pas de pouvoir dire non, mais de pouvoir dire oui ou non.
L’esprit critique du complotiste est devenu un système à dire non : il est le parfait némésis du « mouton » qui ne sait que dire oui, et tous les deux forment un triste couple parodique.

Dessin de Quino

Le complotiste ne cherche pas la vérité, il cherche à alimenter sa méfiance (qui préexiste à l’objet qu’elle investit), et il est prêt à ramasser tout ce qu’il trouvera pour alimenter sa turbine à soupçons. Il y gagne la vanité de se croire supérieur à la masse des crédules, ainsi qu’une fausse position de victime, prête à défendre héroïquement la vérité contre tous ; mais il y perd tout esprit de nuance et parfois jusqu’à sa bonne foi -quand des preuves patentes de son exagération lui sont apportées.

Le complotisme ressort davantage d’un problème d’humeur ; c’est pourquoi vous ne réussirez jamais à convaincre rationnellement un complotiste, puisqu’il a besoin d’exprimer cette (mauvaise) humeur, qui est toujours à la lisière de la paranoïa ; vous obtiendriez probablement davantage de résultats… en lui faisant un bisou.

mardi 14 septembre 2021

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *