La réfutation est un procédé rhétorique, assez solide et assez courageux, consistant, afin d’exposer son point de vue, à énumérer les critiques de son adversaire, pour les démonter une par une.
Imaginons que vous soyez végétarien et vouliez convaincre un auditoire d’hostiles carnivores de changer de régime alimentaire (je force le trait pour la démonstration). Eh bien, au lieu de donner vos arguments et de vous faire contredire après -ou même pendant- votre discours, vous pouvez commencer par donner ceux de vos contradicteurs, à savoir ici toutes les critiques qui sont faites au végétarisme –et les réfuter.
Je sais que vous pensez que le végétarisme est déséquilibré en protéines, mais sachez qu’on trouve des protéines ailleurs que dans la viande, exemples : …
Vous me direz que la gamme de plats végétariens est restreinte, regardez ce gros livre de recettes délicieuses…
Vous prétendez, pour vous donner bonne conscience, que dans les abattoirs, les animaux sont tués sans souffrir, je vous montre des vidéos de L214… Etc.
L’avantage de cette stratégie argumentative, c’est qu’elle coupe l’herbe sous le pied de votre contradicteur : vous avez pour ainsi dire éventé son jeu de cartes, et il n’aura plus rien à dire quand ce sera à lui de parler. Elle suppose bien sûr que vous ayez des contre-arguments solides, sans quoi vous vous ridiculiserez tout seul.
En voici un magnifique exemple, pris dans Le dernier jour d’un condamné, de Victor Hugo. Dans sa préface, pour étayer son opposition radicale à la peine de mort, il expose les arguments des partisans de la peine capitale pour les démonétiser un par un (même légende que ci-dessus) :
« Ceux qui jugent et qui condamnent disent la peine de mort nécessaire. D’abord, – parce qu’il importe de retrancher de la communauté sociale un membre qui lui a déjà nui et qui pourrait lui nuire encore. – S’il ne s’agissait que de cela, la prison perpétuelle suffirait. A quoi bon la mort ? Vous objectez qu’on peut s’échapper d’une prison ? Faites mieux votre ronde. Si vous ne croyez pas à la solidité des barreaux de fer, comment osez-vous avoir des ménageries ?
Pas de bourreau où le geôlier suffit.
Mais, reprend-on, – il faut que la société se venge, que la société punisse. – Ni l’un, ni l’autre. Se venger est de l’individu, punir est de Dieu.
La société est entre deux. Le châtiment est au-dessus d’elle, la vengeance est au-dessous. Rien de si grand et de si petit ne lui sied. Elle ne doit pas « punir pour se venger »; elle doit corriger pour améliorer. Transformez de cette façon la formule des criminalistes, nous la comprenons et nous y adhérons.
Reste la troisième et dernière raison, la théorie de l’exemple. – Il faut faire des exemples ! Il faut épouvanter par le spectacle du sort réservé aux criminels ceux qui seraient tentés de les imiter ! – Voilà bien à peu près textuellement la phrase éternelle dont tous les réquisitoires des cinq cents parquets de France ne sont que des variations plus ou moins sonores. Eh bien ! nous nions d’abord qu’il y ait exemple. Nous nions que le spectacle des supplices produise l’effet qu’on en attend. Loin d’édifier le peuple, il le démoralise, et ruine en lui toute sensibilité, partant toute vertu. Les preuves abondent, et encombreraient notre raisonnement si nous voulions en citer. Nous signalerons pourtant un fait entre mille, parce qu’il est le plus récent. Au moment où nous écrivons, il n’a que six jours de date. Il est du 5 mars, dernier jour du carnaval. A Saint-Pol, immédiatement après l’exécution d’un incendiaire nommé Louis Camus, une troupe de masques est venue danser autour de l’échafaud encore fumant. Faites donc des exemples ! Le mardi gras vous rit au nez.«
N’est-ce pas brillant ?
Si vous réussissez à démonter les arguments de votre adversaire avant qu’ils ne vous les lancent, vous vous ouvrez un boulevard ! Je disais au début de cet article que la réfutation était un procédé courageux, car elle implique d’être capable de bien connaître les arguments d’en face, sans les déformer : si vos contre-arguments essayent de travestir ou de caricaturer l’opinion contestée, votre démonstration tombe à l’eau. Elle suppose également d’être capable de mettre ses propres arguments à l’épreuve, en d’autres mots de cultiver une certaine forme d’humilité.
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mardi 14 janvier 2020
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