Sujets de philosophie : et si on laissait un choix plus important au candidat ?

Lundi 17 juin, à 08h02, comme chaque année à l’épreuve de philosophie, à côté de l’explication de texte qui ressemble à une voie de secours, deux sujets de dissertation vont « tomber » : ce verbe se disqualifie de lui-même, faisant penser à un verdict, une sanction, pour ne pas dire un « couperet ». Le bachelier va jouer une partie de sa note globale, de son année, de son orientation, sur l’arbitraire de ces deux phrases suspendues dans le vide. Pour le dire autrement, on va jouer sa connaissance aux dés.

L’épée de Damoclès. L’argument de ce format d’épreuve est qu’un élève qui a bien révisé n’a peur d’aucun sujet, et que plus il aura travaillé, plus faibles seront les risques de « sécher » sur les sujets ; c’est un argument qui tient la route, que j’utilise moi-même parfois, et qui donnerait presque une impression de justice : on récompense les élèves méritants, les autres caleront… Mais quand j’y pense, que je le remets en cause, je me rends compte qu’il n’est qu’un bricolage rhétorique pour justifier un principe d’exclusion qui lui précède. On parle plutôt alors d’optimisation de ses révisions, de stratégie, de chance le jour J, c’est-à-dire de choses se trouvant bien loin de la juste et nécessaire évaluation des connaissances, et encore plus loin de l’exercice de la pensée. C’est ce mélange d’arbitraire et de pseudo-exigence qui a dégradé le système d’éducation, en l’alignant sur un modèle de type sportif : hasard et compétition. J’ajoute (et ce n’est pas le moindre reproche) que ce mode d’évaluation est une machine à stress, massive et généralisée, du premier au dernier de classe, et du dernier au premier !

Le choix du sujet. L’introduction d’une part de contrôle continu viendra enrayer ce jeu de roulette, mais dans quelle mesure ? Je propose ci-après une nouvelle manière de proposer l’exercice de la dissertation. En gardant le même nombre de notions, en gardant le principe du tirage au sort de la notion (ou de deux notions), pour que les élèves ne tronquent pas leurs révisions, on donnerait au candidat la possibilité de choisir parmi une liste plus importante de sujets, par exemple 10 ou 15. Techniquement, on pourrait lui laisser 15 minutes pour choisir un sujet dans cette liste, et il aurait ensuite ses quatre heures de rédaction. On pourrait même imaginer que sur la notion proposée, il définirait lui-même un sujet à traiter (mais il faudrait pouvoir le faire valider avant de commencer). Ce serait en quelque sorte un sujet semi-libre.

Exemple : le candidat tire au sort « le désir ». On lui propose alors de choisir l’un de ces dix sujets : Accomplir tous ses désirs, est-ce une bonne règle de vie ? Ne désire-t-on que ce qui a du prix aux yeux d’autrui ? Le désir est-il par essence violent ? Est-il absurde de désirer l’impossible ? Pensez-vous qu’il vaille mieux changer ses désirs que l’ordre du monde ? La recherche du plaisir est-elle digne d’être érigée en idéal moral ? Le désir n’est-il que l’expression d’un manque ? Peut-on distinguer de vrais et de faux besoins ? Désirer, est-ce nécessairement souffrir ? Faut-il libérer le désir ou se libérer du désir ? Deux autres listes peuvent être proposées, l’une sur une autre notion, et la troisième sur deux notions mêlées.

Tout en préservant le principe de la révision du programme, ce système présenterait trois avantages :

1. Il donnerait au candidat une latitude par rapport aux termes parfois un peu intimidants du sujet : j’ai parfois vu des élèves caler sur une notion (qu’ils maîtrisaient) parce que la formulation du sujet les avait déroutés.

2. Il réduirait son stress : qui a pu penser que le stress faisait mieux penser, améliorait la qualité d’une réflexion ? Quelqu’un de stressé ? C’est en fait tout l’inverse : le stress n’est qu’un parasite pour la pensée profonde. Il produit soit de la paralysie, soit du raisonnement à l’emporte-pièce. J’aurais presque envie de paraphraser le bon Boileau : Ce qui se conçoit bien s’énonce calmement…

3. Et surtout il lui permettrait, dans un cadre donné, de traiter le sujet avec lequel il se sent le plus à l’aise, ce qui ne réduirait en rien l’exigence de contenu et de raisonnement inhérente à la dissertation. Il me semble même que l’on raisonne mieux sur les sujets qui nous intéressent davantage.

Choisir le sujet sur lequel on va réfléchir… N’est-ce pas là, d’ailleurs, ce que fait tout essayiste, tout philosophe ?…

_

_

mardi 14 mai 2019

_

_

_

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *